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FORÊTS DU MONDE ET STOCKAGE DU CO2

Par Henri Voron, ingénieur en chef du génie rural, des eaux et des forêts, 15 novembre 2023

 

1°) Rappel des chiffres sur la forêt mondiale *

(*Source : Food and Agriculture Organisation, 2020)

Elle couvre 30 % de la surface des continents, mais 40 % de la surface des terres émergées « habitables ».

Le total des terres émergées est de 15 milliards d’hectares, mais 5 milliards d’hectares sont occupés par des déserts froids (Antarctique) ou chauds (Sahara) qui n’ont presque aucune végétation et presque aucun habitant. Restent donc 10 milliards d’hectares, occupés par la forêt pour 4 milliards d’hectares. Soit un demi-hectare (5 000 m2) par Terrien.

Le nombre d’arbres par hectare est variable, mais en moyenne on peut compter 500 « gros » arbres à l’hectare. On ne compte pas dans ce chiffre le sous-bois, les arbustes plus bas, les lianes, les végétaux du sol sous forêt.

Le volume de bois d’œuvre sur pied peut être estimé à 200 m3 par hectare. Soit un total mondial de 2 000 milliards de m3 de bois sur pied. Pour la biomasse totale, en comptant les branches, les racines, les écorces, tout ce qui n’est pas exploitable en bois d’œuvre, on peut doubler ce chiffre.

Le taux de « déforestation » ne cesse de ralentir. Il était de 7 millions d’hectares par an en 1990 contre 4 millions d’hectares seulement dans les années 2020.

Dans tous les pays, existe un seuil de PIB par habitant constant de 4 000 dollars/an, marquant la fin de la déforestation et le début du reboisement. C’est donc par le développement économique et social, et par la croissance de l’urbanisation qu’on peut « sauver » la forêt. On retrouve une loi assez évidente : la sauvegarde des espaces naturels est possible dans les pays riches, et non dans les pays pauvres. Et c’est donc en accélérant le développement économique qu’on sauve la « nature » et non l’inverse comme le prétendent certaines idéologies.

2°) Stockage du carbone au niveau mondial

La plupart du carbone forestier se trouve dans la biomasse vivante (44 pour cent) et dans la matière organique des sols (45 pour cent). Ce qui reste se trouve dans le bois mort et la litière. Le stock total de carbone dans les forêts est passé de 668 gigatonnes (ou milliards de tonnes) de carbone en 1990 à 662 gigatonnes en 2020; la densité de carbone a légèrement augmenté sur cette période, passant de 158,8 à 163,1 tonnes par hectare.

Ces chiffres sont donnés en carbone « pur ». Pour obtenir l’équivalent en CO2, il faut multiplier les chiffres par 3,67 *. Les forêts du monde stockent donc 668 x 3,67 = 2 450 milliards de tonnes de CO2.
* (Une Mole de Carbone C = 12 g ; CO2 = 44 g)

3°) Les forêts sont-elles des « puits à carbone » ?

                           

Non, bien évidemment pour une forêt en équilibre depuis des siècles, des millénaires, des millions d’années ou plus.

Prenons l’exemple de la forêt amazonienne. Elle couvre 10 fois la surface de la France soit 550 millions d’hectares. Elle s’est formée à l’éocène, il y a 50 millions d’année. Ses dimensions ont varié en fonction de tous les évènements géologiques et climatiques intervenus pendant ces 50 millions d’année.

Tous les êtres vivants, tous les végétaux notamment, meurent en fin de cycle. Ils pourrissent sous l’action des microorganismes et cette décomposition libère à la fois du CO2 et de l’énergie, tout en consommant de l’oxygène. Masse pour masse, toute la quantité de CO2 absorbée par la photosynthèse est rendue à l’atmosphère au long de la vie de la forêt. Cette décomposition lente libère la même énergie que celle d’un feu.

Le feu est une décomposition rapide libérant beaucoup de chaleur et de CO2 dans un laps de temps assez bref. La décomposition bactérienne arrive exactement au même résultat. Et en libération de CO2, et en consommation d’oxygène et en libération d’énergie.

Toute forêt en équilibre, c’est-à-dire stable, conservant la même surface, le même climat, les mêmes espèces et le même volume sur pied rejette autant de CO2 qu’elle n’en absorbe par la photosynthèse. C’est le cas de la forêt amazonienne et de toutes les forêts stables du globe.

A l’évidence, depuis 50 millions d’année, l’Amazonie n’a pas été un « puits à carbone ». Où serait aller tout ce carbone qui aurait été produit par la photosynthèse et, par hypothèse, « stocké » de manière cumulative pendant 50 millions d’années ? Il n’a pas pu aller sur Mars ou Vénus. Le carbone ne peut « s’accumuler » indéfiniment dans la biosphère. Le cycle du carbone vivant est fermé sur lui-même, masse pour masse. La dégradation de la matière organique se produit à la même vitesse que sa genèse par la photosynthèse.

Les seuls véritables « puits à carbone » au long des âges géologiques, donc sur le très long terme, sont les roches carbonatées, c’est-à-dire les calcaires, et les roches carbonées, c’est-à-dire le charbon, le pétrole et le gaz. Mais ceci est une autre affaire.

Une forêt à maturité, naturelle ou cultivée, dont la surface est stable et le volume sur pied global sont stables n’est pas un « puits à carbone ». Où pourrait-elle stocker indéfiniment du carbone ? Seul le bois coupé et conservé hors de toute décomposition peut stocker du carbone pendant quelque temps.

4°) Que ce passe-t-il si la surface forestière augmente ?

Alors c’est très différent, et oui, la nouvelle forêt stocke du carbone. Certainement plus que le terrain nu, ou cultivé, ou en prairie qui l’ont précédé. Les nouveaux arbres stockent du bois, pour une durée de cinquante à cent ans environ.

Mais dès que cette nouvelle forêt sera arrivée à maturité, le « puits à carbone » ne marchera plus, car on retombera sur la situation décrite au paragraphe précédent.

En France, la forêt s’accroit d’une surface estimée à 50 000 hectares à 100 000 hectares par an. Ceci par le phénomène de déprise agricole, sur les sols pauvres, trop pentus et trop morcelés. Donc principalement en régions de moyenne montagne. Les anciens champs et les anciennes prairies sont donc reboisés naturellement dans la majorité des cas, ou bien par plantations volontaires.

Pour la France, si la forêt est à peu près bien gérée, avec toutes les éclaircies nécessaires, on peut espérer, stocker 500 m3 par hectare de bois d’œuvre au bout de 100 ans. Soit 412 tonnes de CO2.

Rappelons que la forêt couvre déjà le tiers du territoire national en France, soit 18 millions d’hectares environ. On ne pourra pas et on ne devra pas reboiser tout le pays…. Il est donc clair qu’à un moment ou à un autre, la forêt française trouvera ses limites et on aura perdu le « puits à carbone » provisoire lié à la période d’expansion de la forêt française.

5°) Peut-on stocker le bois d’œuvre, pour bloquer durablement du CO2 ?

             

Oui, si l’on utilise le bois pour des investissements durables, notamment dans le bâtiment. On peut construire en bois, des chalets par exemple. On peut aussi construire avec plus de bois ici ou là : parquets, escaliers, cloisons, meubles, portes et fenêtres, y compris en bois aggloméré.

Cela dit, dans notre pays, 90 % des habitations ont été construites après 1900. Les bâtiments sont rarement vraiment éternels. La charpente de Notre Dame de Paris, fort justement surnommée « la forêt » a brulé en 2019. Sont partis en fumée des arbres coupés vers 1200, donc ayant germé 100 ou 200 ans avant. Vers l’an mil. Un peu après Hugues Capet.

Le renouvellement de l’habitat ne peut pas être nul. Pour de nombreuses raisons, il faut démolir pour reconstruire. Tout change pour les constructions : fonctionnalités nouvelles, exigence de confort, dimensions des pièces, exigences nouvelles pour l’urbanisme, etc. Il est difficile de savoir quelle sera la maison ou l’école ou le bâtiment de bureau de demain. Et donc de prévoir quelle quantité de bois on pourra le stocker « durablement » dans son rôle assigné de « puits à carbone ».

6°) Brûler du bois : quelle conséquence pour le CO2 atmosphérique ?

Le bois énergie est en plein développement en France et c’est une bonne nouvelle. Cela permet d’utiliser moins de combustibles fossiles, couteux et producteurs nets de CO2. Le bois énergie produit environ 4 kilowattheures par kilogramme ce qui est beaucoup. Au niveau national, on atteindrait 10 millions de TEP (tonnes d’équivalent pétrole) pour évaluer toute l’énergie du bois.

Ce bois n’est plus brulé comme au temps de nos grand-mères, c’est-à-dire mal brulé, avec un mauvais rendement. Seuls les fourneaux de cuisine ou les vieux poêles permettaient des rendements corrects. Aujourd’hui, les inserts pour cheminée, les poêles modernes, les chaudières à granulés de bois, les chaufferies collectives pour le chauffage urbain ont permis d’augmenter les rendements, qui peuvent atteindre les 80 % ou plus. Les fumées sont traitées de mieux en mieux dans les réseaux de chaleur. En milieu rural ou pavillonnaire, où le bois est le plus utilisé car facile à stocker et à gérer, les particules plus ou moins fines sont fortement et rapidement diluées.

Bien entendu, le CO2 produit par cette combustion du bois est rendu masse pour masse dans l’atmosphère. Car il provient à 100 % de la masse de CO2 qu’a fixé la photosynthèse pour le produire. La combustion du bois est totalement neutre pour le taux de dioxyde de carbone de l’atmosphère. On peut même affirmer que toute combustion de biomasse qui se substitue à la combustion d’un produit pétrolier ou au charbon tend à réduire ce taux.

7°) Bruler du bois est-il une menace pour la forêt ?

                          

Non, absolument pas. Car jamais, au grand jamais et ceci dans le monde entier, on ne brûle une belle bille de bois d’œuvre. Qui a une forte valeur ajoutée pour la construction ou autres usages nobles du bois. Tout le bois brulé pour se chauffer en France et ailleurs provient des déchets de la forêt et du sciage. Ainsi que, localement, du renouvellement obligatoire des plantations arbustives : cep de vigne, arbres fruitiers, haies, produits de taille, gestion des arbres ornementaux dans tous les parcs et jardins, publics ou privés, etc… sans compter la récupération de bois d’emballage (caisses, palettes) ou de démolition.

Dans la forêt, la récolte des arbres laisse sur place le houppier, les branches, le sous-bois, les bois fins, les écorces. Pendant le cycle de croissance de la parcelle récoltée, il a fallu procéder à des éclaircies de petits bois ronds, utilisables pour faire des piquets, ou du bois de feu, ou du bois pour pâte à papier.

Pour une parcelle donnée, de chênes, par exemple, on compte 50 000 très jeunes plants à l’hectare de l’année 1 à l’année 5. Puis 10 000 pendant les années qui suivent, car on aura éclairci les arbres trop serrés, mais qui doivent pousser droit en allant chercher la lumière. On passera à 2 000 arbres au bout de 20 ans environ, en éclaircissant encore, d’où une autre production de bois de feu. Après 100 ans ou plus, lorsque viendra le temps d’abattre les 500 grands chênes précieusement conservés, la parcelle aura produit au moins 500 m3 de bois ronds pour le feu ou la production de piquets, voire plus. La vente de ce bois, pour la pâte à papier ou pour le feu est une ressource financière vitale, car elle permet de financer toutes ces opérations d’éclaircie. Contrairement aux idées reçues, le bois de feu et la pâte à papier sont les meilleurs amis de la forêt.

Arrivée en scierie, une grume de bois à la forme d’un long cône, plus large en bas qu’en haut. Or le scieur doit transformer ce cône en parallélépipèdes rectangles. A savoir des poutres ou des planches ou des chevrons à section carrée. D’où des chutes importantes. Sans compter les arbres mal formés, dont il faut abandonner certaines sections, les sciures et les écorces. Le taux brut du sciage ne dépasse guère les 60 %. Près de la moitié du bois passé en scierie va partir pour la pâte à papier (pour les résineux) ou le bois de feu. Ou la sciure que les professionnels concernés utilisent pour chauffer leur logement ou leur atelier, avec des poêles à sciure, spécialement conçus pour cet usage.

8°) Le cas de la forêt congolaise équatoriale : vers un arrêt de la « déforestation » ?

Elle couvre 268 millions d’hectares soit 5 fois la surface de la France métropolitaine. Elle est présente dans les pays suivants : le Cameroun, la République centrafricaine, la République du Congo, la république démocratique du Congo, le Gabon et la Guinée équatoriale. Son stock de bois d’œuvre sur pied peut être estimé à 200 m3 par hectare, soit un total de 280 x 200 = 56 000 millions de m3 ou 56 milliards de m3.

La forêt du bassin du Congo est la deuxième forêt tropicale du monde. Elle contient un quart de la forêt tropicale sur Terre. Avec une perte annuelle de 0,3 % durant les années 2000, la région possède le plus bas taux de déforestation de toutes les zones forestières majeures.

La faible pression démographique, l'accès difficile et le manque d’infrastructures ont permis de protéger le couvert forestier de cette région du monde pendant une longue période. D’après Ernst et al. (2013)9, la déforestation annuelle est passée de 0,13 %. Au Gabon, la forêt couvrait plus de 88 % du territoire gabonais en 201011. Le taux de déforestation net est de 0,34 % pour la période allant de 1990 à 2000. Elle était principalement liée à l’exploitation forestière et à l’ouverture des routes ainsi qu’à la conversion de terres forestières en cultures, prairies ou savanes. La période 2000-2010 est caractérisée par un taux de déforestation observé de 0,09 % (pas significativement différent de zéro).

Le bois de feu ne joue, bien évidemment, qu’un rôle négligeable dans la surexploitation ou sous-exploitation de la forêt congolaise. En Europe, le bois de feu sert très majoritairement au chauffage pendant les 5 mois d’hiver. Le fait que les Africains tropicaux n’aient pas besoin de se chauffer n’est pas un « scoop ». Restent donc les besoins de bois de feu pour la préparation des repas. Qui représentent des volumes dérisoires, et qui, comme en Europe, proviennent principalement des déchets ligneux de la forêt naturelle, laissée à elle-même ou exploitée.

On peut estimer les besoins en bois de feu pour la cuisine à 1 kg de bois sec par jour et par personne, soit 365 kg par an. Les 150 millions d’habitants de la forêt congolaise auraient donc besoin de 55 millions de tonnes de bois de feu par an. Ceci en admettant que tous utilisent cette énergie pour les repas, ce qui n’est pas le cas, notamment en ville, où les bouteilles de GPL sont abondantes et bon marché, tous ces pays ayant de grandes ressources en hydrocarbures. De plus aucun immeuble à étages ne prévoit aujourd’hui, partout dans le monde un ou des dispositifs permettant d’y brûler du bois. Rapportés aux 56 milliards de m3 de bois sur pied estimés pour la forêt congolaise, la consommation de bois de feu représente un pour mille du volume sur pied. C’est dérisoire, et c’est nettement inférieur au taux de croissance annuel du volume de bois sur pied estimé à au moins 3 tonnes par hectare et par an. Rappelons que le bois de feu n’est formé que de déchets de bois de petite dimension, hétérogènes, souvent plus ou moins « tordus » et inutilisables pour d’autres usages.

9°) Conclusion

Conserver les forêts pour une multitude de raisons est une excellente chose, de même que le reboisement, partout où il est possible.

Elles contiennent, en général, une exceptionnelle biodiversité, végétale et animale. Elles sont des lieux de détente ou de loisirs pour les citadins. Elles participent localement à la lutte contre l’érosion ou les inondations torrentielles. Elles créent des emplois et des revenus : entretien et gestion de la forêt, filière bois, scieries, fabrication de pate à papier, utilisation du bois dans la construction et l’ameublement. Dans le cas de la France la filière bois crée environ 100 000 emplois.

Mais elles n’ont pas de vertus « divines » comme le pensent certains courants de pensée. Elles ne stockent pas durablement le CO2. Elles ne contribuent donc que minoritairement, à la « lutte contre les gaz à effet de serre » dont le rôle dans le réchauffement observé de 1°C environ depuis un siècle reste controversé. La corrélation entre température et taux de CO2 de l’atmosphère n’est pas encore scientifiquement prouvée.

Les forêts sont belles, bonnes, indispensables. Elles sont un élément fondamental de la biosphère et des paysages sur tous les continents. Elles créent des richesses. Leur gestion demande lucidité et compétence. Mais ce ne sont pas des déesses qui résoudraient miraculeusement tous les problèmes de notre temps.

 

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