Comment l'Europe et le
gouvernement français
ont détruit EDF
Audition de Henri
Proglio, président d'honneur de EDF à l'Assemblée
Nationale, 13 décembre 2022

Audition intégrale, 2 h vidéo
.
Extraits clés
EDF a été le résultat d’une
formidable aventure, d’une vision, et d’une volonté,
celle d’un gouvernement qui en 1946 a considéré que
l’énergie, et donc l’électricité, était un élément
essentiel de la vie économique, et qu’il était donc
important de la considérer comme stratégique.
Le gouvernement de l’époque
s’est lancé trois défis majeurs :
- Le défi de l’indépendance énergétique,
- Le défi de la compétitivité du territoire,
- Le défi du service public de l’électricité accessible
à tous, avec la même qualité et au même prix.
Une électricité moins chère
qu'en Allemagne. Les paris ont été relevés, il n’y avait
plus qu’à tout détruire… C’est chose faite !
Le premier acteur de
la destruction : l’Europe
Toute la réglementation européenne depuis 10 ans ne vise
que la désintégration de l’entreprise EDF.
La loi géniale, c’est la loi NOME (Nouvelle Organisation
du Marché de l’Électricité) qui consiste à imposer à EDF
la vente à prix cassé, puisque inférieur au coût de
revient, de 25 % de sa production électronucléaire à ses
propres concurrents pour qu’ils puissent vendre leur
énergie aux clients d’EDF. Ça a très bien fonctionné,
ils sont devenus riches.
Pour couronner le tout, il
fallait définir un prix de marché qui a été indexé sur
le prix du gaz parce que les Allemands utilisent le gaz
et que toute la démarche est allemande et que la
réglementation européenne est allemande.
L’Allemagne a choisi
l’industrie comme axe majeur de son économie. Ils ont
tenté leur Energiewende (la transition allemande) qui
s’est transformée en catastrophe absolue puisqu’elle
s’est traduite par un affaiblissement des opérateurs
allemands quasi en ruines.
L’obsession des Allemands
depuis 30 ans, c’est la désintégration d’EDF. Ils ont
réussi !
Le deuxième acteur :
le gouvernement
Le deuxième acteur est la
politique nationale française. Là, on a assisté à la
recherche pathétique d’un accord électoral avec un parti
antinucléaire. On en voit les prémisses dès 1997-1998
avec l’abandon de la filière des réacteurs à neutrons
rapides qui remettait en cause la logique du système
nucléaire français.
Ensuite, il y a eu la
formidable campagne de communication de Fukushima avec
les 20 000 morts qui n’ont jamais existé puisqu’on a
confondu le tsunami et l’accident.
Et puis l’apogée avec la
campagne (présidentielle) de 2012 avec son cortège de
joyeusetés. La fermeture annoncée de 28 réacteurs
nucléaires, rien que ça, qui s’est transformée par
l’engagement de fermeture de Fessenheim, et
l’abaissement à 50 % de la part du nucléaire dans le mix
électrique.
J’ai assisté à la mise au
point d’une théorie absurde qui m’a été imposée avec
beaucoup d’insistance par les pouvoirs publics : la
théorie de la décroissance électrique. Il fallait
considérer que la demande électrique allait baisser en
France et que par conséquent il fallait diminuer la
puissance du nucléaire surpuissant.
Comment voulez-vous recruter
des gens compétents dans ces conditions où en plus les
salaires sont moins élevés que dans la finance ou dans
le privé ?
Voilà la situation. Rien n’est jamais désespéré mais les
choses ont été très abimées.
Comment redresser la
situation ?
Donner la priorité au
développement de l’hydraulique. Il y a encore des
opportunités d’accélérer dans l’hydraulique en France.
Sécuriser la durée de vie du parc nucléaire existant.
Si on faisait l’un et l’autre on pourrait
progressivement redresser la barre et se donner le temps
de relancer le nucléaire parce qu’il faudra 10 à 15 ans.
Extraits des
réponses d’Henri Proglio aux questions des députés
On n’a pas de concurrents ou
si peu. Quelques éoliennes dispersées aux quatre vents
et quelques champs photovoltaïques, vous voyez l’aspect
risible du sujet.
Et vous voyez des campagnes
de communications de ces traders qui prétendent vendre
de l’énergie verte. On a assisté à ça pendant des années
avant que le client qui s’est laissé abuser finisse par
se rendre compte du fait qu’il n’avait plus de garantie.
Où est le service public de l’électricité qui nous a
tant et tant récompensé ? Pourquoi l’avoir abattu ?
Pourquoi est-ce à l’État
aujourd’hui de faire les compensations nécessaires pour
que les gens à faible revenu puissent accéder à
l’électricité ?
Tout ça était prévu ! […] Il
était clair que ça allait se traduire par un désastre.
On y assiste aujourd’hui.
[…] Le chiffre de 50 % de nucléaire dans le mix
énergétique s’est construit totalement au doigt mouillé
en disant on va baisser la part du nucléaire de 75 % à
50 %. Personne ne l’a jamais estimé autrement que comme
ça ! On en a déduit qu’il fallait réduire le nombre de
réacteurs…Par contre, personne n’a jamais su d’où
venaient les autres 50 %…
Il y a bien l’hydraulique
qui est une très belle énergie renouvelable stable. Le
reste du renouvelable, c’est l’expérience allemande. Ils
ont investi 500 milliards d’euros dans le renouvelable.
500 milliards d’euros ! On en voit l’efficacité…
EDF était le chef de file du
nucléaire français. Le nouveau gouvernement de l’époque
a dit « pas du tout, c’est le Premier ministre »
(Jean-Marc Ayrault). Il organisait des réunions à
Matignon de répartition des rôles du nucléaire à
l’international. Ubu roi…J’ai assisté à des réunions
hautes en couleurs…
La dérive d’AREVA vient de
la vanité. AREVA avait sa mission : chaudronnier et
gérer des centres de retraitement. Concevoir et vendre
des réacteurs, ce n’était pas son métier. On a vu les
conséquences de cela dans la conception de l’EPR
On oublie de mentionner
qu’EDF a financé tout le programme nucléaire français et
l’endettement d’EDF était parfaitement acceptable.
2014, c’est 78 milliards de chiffres d’affaires, 17,5
milliards d’EBITDA, 3,75 milliards de résultat net après
impôts. C’est le meilleur résultat d’EDF dans toute sa
vie.
EDF était en pleine forme
malgré toutes les vicissitudes venant à la fois de la
réglementation française et européenne, des lois NOME et
compagnies. Évidemment, ça abime durablement les
performances de l’entreprise et on en a vu les
conséquences.
J’ai alerté sur les dangers
de l’ARENH suite au rapport Champsaur et j’ai eu une
réponse politique : « je comprends, je comprends,… ». Il
arrive un moment où la décision l’emporte sur la
réflexion.
Cette mesure (l’ARENH) était inique et était destinée à
casser une entreprise comme EDF. Je déplore qu’elle ait
été acceptée par le gouvernement français sous la
pression bruxello-allemande.
J’ai obtenu une pente
tarifaire de mon interlocuteur mais quelques mois plus
tard elle a été cassée par la nouvelle ministre.
C’est un métier où on gère
le temps long. Les investissements sont amortis
économiquement sur 40, 50, 60 ans et même 100 ans pour
les barrages. Avoir des ministres dont la durée de vie
ne dépasse pas neuf mois est difficile à gérer. Chaque
ministre est demandeur de communication et d’attacher
son nom à quelque chose qui soit populaire. Refuser
d’augmenter l’électricité est effectivement populaire à
court terme. J’ai eu droit à ça aussi.
L’EPR (Flamanville) est un
engin beaucoup trop compliqué, quasi-inconstructible. La
dérive d’organisation du système nucléaire et la
prédominance d’AREVA dans ce dispositif pour des raisons
non techniques et absurdes font que c’était le seul
outil disponible dans notre univers
Il y a la conjonction de
deux phénomènes : la complexité du design de l’EPR qui
est totalement à revoir et la filière nucléaire
française qui n’a plus construit de réacteur depuis 20
ans.
Il se construit 10 réacteurs
par an en Chine et les Russes ont environ 40 réacteurs
en commande, et je pensais que, en attendant un nouveau
réacteur, nos entreprises pouvaient travailler avec les
Russes et les Chinois. On en connait la suite.
Il y a un déficit
d’expérience des sous-traitants dans la construction.
L’effet de série qui avait tellement réussi à la France,
on a construit jusqu’à 5 réacteurs par an, a eu un effet
extrêmement positif sur la filière. Le fait de n’en
avoir pas construit depuis 15 ans a eu un impact
extrêmement négatif sur la filière (BTP, industrie
lourde, chaudronnerie). On voit les conséquences
aujourd’hui.
La France n’est pas un pays
où le renouvelable a une place considérable à prendre.
EDF est un ensemblier et un
opérateur : 180 000 collaborateurs. L’essentiel des
travaux sont sous-traités.
Il faut avoir ça en tête quand on parle d’un sujet à
horizon long terme. La compétence de demain c’est
aujourd’hui qu’on la construit. On a perdu des gens, on
continue à en perdre. Il faut savoir reconnaitre leurs
mérites et leurs talents et pas uniquement en termes de
concurrence. Ce n’est pas par le nombre mais par le
talent qu’on construit une aventure.
(Henri Proglio en 2012 en
Allemagne à la foire de Hanovre avec Angela Merkel) :
Elle m’a dit : « Je suis une scientifique d’Allemagne de
l’est, je crois totalement au nucléaire » mais il
fallait qu’elle bâtisse un accord de coalition. Elle a
donc ouvert une négociation avec les Verts conservateurs
allemands. Chez les Allemands il y a des Verts
conservateurs et des Verts de gauche, ce ne sont pas les
mêmes. Pour boucler ces négociations, elle a lâché le
nucléaire. Elle me l’a dit : « Je l’ai fait pour des
raisons politiques, pas du tout techniques, ni
scientifiques ».
L’Allemagne est consciente
de ses propres intérêts. Personne en Allemagne ne parle
du couple franco-allemand. Il n’y a qu’en France qu’on
parle du couple-franco-allemand.
Je ne vois pas pourquoi la
France ne prend pas l’initiative, comme l’Espagne et le
Portugal, de sortir du marché européen de l’énergie.
On ne peut pas rendre
monsieur Montebourg responsable du démantèlement
d’Alstom. Il a démissionné à cause de cela. On ne peut
pas le rendre complice de cette action. Il était révolté
contre la vente d’Alstom aux Américains. J’en ai été le
témoin.
J’ai essayé de sauver
Photowatt parce que c’était la dernière entreprise
européenne et française dans le domaine du
photovoltaïque et j’ai considéré que c’était de mon
devoir d’essayer de la sauver. Encore fallait-il obtenir
que Photowatt ait une petite priorité dans
l’installation des parcs de panneaux voltaïques, ce qui
n’a pas été le cas ; et donc aujourd’hui tout est
chinois. On s’en satisfait. Il n’y a pas eu de stratégie
de filière française. Elle n’a pas existé.
Fessenheim : ne remuez pas
le couteau dans la plaie… J’ai demandé à l’État 8
milliards de compensation (...)
EDF a obtenu 400 millions. No comment, je n’étais plus
là.
Nous avons perdu le marché
(20 milliards de dollars) d’Abu Dabi parce que la France
s’est mal organisée, c’est tout. Ni plus, ni moins.
C’est simplement un échec pour la France.
La Russie : le nucléaire
n’est pas sous sanction. On se réunit de temps en temps
dans un conseil consultatif (un Espagnol, un Italien, un
Japonais, un Russe et moi) pour parler des nouvelles
technologies nucléaires et notamment des petits
réacteurs.

|