Nucléaire, incompétence et pouvoir
par Michel Gay
20/01/2022
Les 10 ans de retards successifs dans la mise en service du
nouveau réacteur nucléaire EPR (European
Pressurized Reactor) de Flamanville sont-ils dus à
l’incompétence des jeunes ingénieurs français… ou à
l’imprévoyance de nos dirigeants ?
Conjugué avec l’arrêt politique des deux réacteurs de la centrale
de Fessenheim en 2020 et l’arrêt inopiné pour
contrôles techniques de cinq
autres réacteurs, le retard de livraison de ce premier EPR
en France entraine un risque de sous-capacité de production
d’électricité cet hiver.
Un
avenir nucléaire ou non ?
A l’heure où les Français s’interrogent de plus en plus sur
l’avenir énergétique de leur pays et sur les coûts du gaz et de
l’électricité, le nucléaire s’invite dans la campagne
présidentielle.
Sur fond de changement climatique, cette énergie recueille les
faveurs de certains candidats (à droite et au Parti communiste),
et d’autres lui sont hostiles (LFI et EELV en particulier).
Après avoir trop longtemps cajolé les promoteurs d’éoliennes et
autres panneaux photovoltaïques, le Président Emmanuel Macron a
annoncé en novembre 2021 que la France allait lancer un
programme de construction d’au moins 6 réacteurs nucléaires EPR
(ou EPR2 qui est un EPR simplifié et amélioré).
Le chantier du nouveau réacteur nucléaire EPR à Flamanville
débuté en 2007 se
prolonge depuis 15 ans pour un coût de plus
de 13
milliards d’euros alors qu’il devait durer 5 ans et coûter 3,3
milliards d’euros.
Les réelles difficultés de construction de ce réacteur EPR en
France sont une aubaine pour les jugements péremptoires, à
défaut d’être pertinents, portés par des propagandistes
« verts » antinucléaires sur les capacités de la France à
renouveler son parc nucléaire.
Leur compréhension des enjeux sociaux, techniques, et financiers
de la production d’électricité vitale pour la France est plus
que douteuse. Mais ils disposent de réseaux de communications
influents dans les sphères politiques et médiatiques.
Le pouvoir et l’influence en politique ne se mesure pas à l’aune
de la raison et du bon sens technique fondé sur la réalité, mais
en capacité de nuisance dans les médias et dans l’opinion
publique (« Le Vatican :
Combien de divisions ? » disait Staline
en 1935).
Vers un mix 100% renouvelable en 2050 ?
Ainsi, les médias ont accordé une grande publicité au rapport
biaisé par l’idéologie antinucléaire de l’ADEME
et intitulé « Vers un mix
100% renouvelable en 2050 » publié en juin
2016 et payé
294.000 euros par les contribuables. Il parait
argumenté et « scientifique », mais combien de Français ont-ils
lu les 110 pages de cette étude et en ont détecté
les erreurs et les absurdités ?
L’important est le titre percutant marquant les esprits laissant
ainsi croire qu’une production d’électricité 100% d’origine
renouvelable en 2050 serait possible. Toutefois, les hypothèses
et les affirmations contenues dans cette étude sont calibrées
pour correspondre à l’idéologie décroissante et antinucléaire
des commanditaires partisans des énergies renouvelables,
notamment éoliennes et solaires.
Des scénarios trop optimistes, des rendements négligés, et des
sous-estimations financières flagrantes, notamment dans les stockages
d’énergie, truffent ce document dont les démonstrations
apparemment logiques renferment d’énormes failles, parfois bien
cachées, qui conduisent à des conclusions absurdes… mais
politiquement correctes.
Ayez confiance… dans la foi
Les enjeux techniques et économiques sont difficiles à
comprendre par le plus grand nombre… et par les élus qui, pour
plaire à la majorité de leurs électeurs, ont recours à des
raccourcis simples et séduisants comme « le
vent et le soleil sont éternels, propres, et gratuits ».
Et il est plus facile et agréable de proposer un
avenir radieux reposant sur du vent et du
soleil que d’expliquer longuement pourquoi le nucléaire
représente leur avenir.
« Ayons foi dans les
énergies renouvelables ! » a même déclaré Nicolas
Hulot à l’assemblée nationale le 22 février
2018, car il s’agit bien d’une religion « verte » antinucléaire.
La foi soulève peut-être des montagnes mais il est douteux
qu’elle produise un jour de l’électricité, surtout en fonction
du besoin, notamment les
soirs d’hiver sans vent.
Actuellement, d’immenses éoliennes poussent remarquablement bien
sur terre et en mer, parfois arrosées par des élus dont
l’intérêt général n’est pas la priorité… et auxquels la
justice s’intéresse.
Un
peu de cohérence serait bienvenue
Un
peu de cohérence serait bienvenue, même lorsqu’il est question
d’écologie.
Notre pays a déjà effectué sa transition énergétique il y a plus
de 40 ans, au cours des années 1970, pour consommer moins de
pétrole, de charbon et de gaz (et donc émettre moins de gaz à
effet de serre) grâce à son « virage nucléaire » lancé par le plan
Messmer.
L’économie française a pu en bénéficier, et aucun accident
majeur n’a affecté plus de 40 ans d’exploitation de centrales
nucléaires, ce que semblent regretter certains détracteurs de ce
moyen de production. Cela apporterait de l’eau à leur moulin (ou
du vent dans leurs éoliennes).
Mais avant tout, les Français devraient se poser la seule
question qui vaille : à
quoi servent les énergies renouvelables puisque
la France n’en a pas besoin ?
En effet, la production d’électricité est suffisante (la France
exporte même annuellement environ 10% de sa production) et elles
ne contribuent pas à diminuer les émissions de gaz à effet de
serre dans une France qui produit une électricité décarbonée
à plus de 90%, essentiellement grâce au
nucléaire et à l’hydroélectricité.
L’EPR ailleurs dans le monde
Deux
EPR ont été construits et mis en service à Taishan en Chine en
2018 et 2019 en respectant les coûts et les délais avec la
participation d’ingénieurs français.
Après 16 ans de chantier (et 12 ans de retard), l’EPR
d’Olkiluoto construit par le français Areva en Finlande, a
démarré le 21 décembre 2021.
Au Royaume-Uni, EDF a reporté récemment (27 janvier 2021) de
2025 à 2026 le démarrage de l’EPR
Hinkley Point C.
L’arrêt du nucléaire serait la plus grave catastrophe
Paradoxalement, en France, la plus grave catastrophe nucléaire
pour les Français serait son arrêt. Une sortie, même partielle,
du nucléaire :
-
priverait les Français d’une source de production massive
d’électricité à bon marché,
-
diminuerait les compétences nécessaires à la sécurité des
centrales restantes,
-
aurait de graves conséquences économiques (envolée des prix
de l’électricité, rupture de fourniture d’électricité,…),
sociales (fermetures d’industries, emplois,…), et
écologiques (recours massif au gaz et au charbon).
Les hommes politiques devraient le clamer haut et fort afin que
les Français le comprennent avant qu’il ne soit trop tard…,
c’est-à-dire maintenant car la perte de compétence a déjà débuté
dans l’industrie nucléaire.
Pouvoir et incompétence
Ce n’est pas la qualité intellectuelle de nos jeunes ingénieurs
qui est en cause dans les difficultés du renouveau nucléaire, ni
la compétence des soudeurs de tuyauteries, mais la médiocrité de
la classe politique française. Son impéritie n’a pas anticipé
pendant 20 ans le maintien, la transmission, l’amélioration, et
la formation des savoir-faire dans ce domaine du nucléaire
particulièrement exigeant.
Cette mise en place de nouveaux talents ne se décrète pas du
jour au lendemain à coups de menton médiatiques en incriminant
EDF ou Areva. Elle réclame du temps, une organisation, des
constructions régulières pour maintenir une industrie
compétente, et une vision stratégique de long terme à 50 ans,
bien au-delà des…échéances électorales.
|