Promouvoir les véhicules électriques est
incompatible avec le développement des énergies éolienne et
solaire. Évidemment, les politiciens veulent les deux.
Ce 8 mai 2022, le Parlement européen a voté en faveur de la
proposition de la Commission européenne d’interdire en 2035
au plus tard la vente de véhicules thermiques y compris pour
les camionnettes et les hybrides. L’Italie est parvenue à
obtenir une dérogation pour les voitures de luxe et de sport
(Maserati, Ferrari). Le Conseil de l’UE doit à présent
adopter la proposition. La volonté de se passer de pétrole
et surtout du diesel russe favorise cette décision malgré la
dépendance chinoise qui pointe sur les batteries et les
matériaux qui les composent.
Les voitures électriques sont de plus en plus présentes dans
nos rues. Tout comme on distingue immédiatement un mouton
noir dans un troupeau, on observe au premier coup d’œil une
automobile 100 % électrique. Rappelons que le véhicule
électrique a précédé celui thermique. Henri Ford et Thomas
Edison étaient amis et siégeaient dans leurs conseils
d’administration respectifs. Edison était convaincu que le
véhicule électrique allait l’emporter, mais il a finalement
dû concéder la victoire à son ami qui avait misé sur le
véhicule thermique. Ce n’est qu’avec le développement des
batteries Li-ion que le véhicule électrique a pu rebondir.
Pour l’anecdote, rappelons que c’est la compagnie pétrolière
Exxon (aujourd’hui ExxonMobil) qui a découvert cette
batterie lorsqu’il fallait d’urgence trouver des
alternatives au pétrole à la suite des crises du pétrole des
années 1970.
Une réalité… limitée
Il s’agit pour l’instant d’un marché de niche,
essentiellement poussé par des mesures fiscales qui
bénéficient aux entreprises, parce que les véhicules
électriques sont plus chers à la construction et donc à
l’achat. Feu Serge Marchionne, PDG de Fiat-Chrisler, avait carrément
déclaré lors
du Salon de l’auto à Détroit de 2014 « n’achetez pas mes
véhicules électriques, car je perds 10 000 euros par
voiture ». Celles-ci bénéficient de déductions fiscales
diverses, totalement discriminatoires vis-à-vis de la
population qui ne peut pas, dans sa très grande majorité, se
payer de tels véhicules chers.
Luc Chatel, le président de la Plateforme automobile (PFA),
qui regroupe la filière automobile française a déclaré sur BFM
Business :
« Je ne sais pas si nous aurons les clients pour ces
voitures électriques, qui coûtent 50 % plus cher que les
thermiques. On a déjà du mal à vendre des voitures
aujourd’hui ».
En moyenne dans l’UE, dans plusieurs pays européens
l’acheteur d’une voiture électrique reçoit plusieurs
milliers d’euros. Cette opportunité de marketing lui donne
une image verte qui est bienvenue vu la hargne envers
le monde des entreprises. On est en droit d’ailleurs de se
demander si tous les avantages présents et annoncés seront
compatibles avec l’état déplorable des finances publiques,
d’autant que plus de véhicules électriques signifient aussi
moins de ventes de produits pétroliers et donc de revenus
par les diverses taxes sur ceux-ci.
Selon l’association européenne des constructeurs et
importateurs d’automobiles (ACEA), il y a 243 millions de
voitures à combustion interne en 2021. Comme la Commission
européenne prévoit que 15 millions de nouveaux véhicules
vendus à partir de 2035 seront électriques, les émissions de
CO₂ du secteur routier ne diminueront que de 2 % par an. Et
l’impact sur les émissions totales de GES sera inférieur à 1
%. Par ailleurs, il y a plus de 28 millions de camionnettes
en circulation dans l’UE qui consommeront beaucoup
d’électricité à cause du poids de la charge transportée. Il
ne vous aura pas échappé que la décision du Parlement ne
concerne pas le transport routier…
L’ACEA considère :
« Malgré une augmentation des immatriculations ces
dernières années, les voitures à motorisation alternative ne
représentent que 4,6 % du parc automobile total de l’UE. 0,8
% de toutes les voitures circulant sur nos routes sont des
hybrides électriques, tandis que les véhicules électriques à
batterie et les véhicules hybrides rechargeables ne
représentent chacun que 0,2 % du total ».

Photo by CHUTTERSNAP on Unsplash
La Chine apprécie
Selon moi, l’argument du manque d’autonomie du véhicule
électrique n’est pas recevable, car la grande majorité des
trajets peut très bien se satisfaire de l’autonomie
actuelle, d’ailleurs en croissance. Mais d’autres
inconvénients, bien plus sérieux, vont freiner l’illusion de
la Commission européenne et du Parlement européen d’imposer
l’abandon
des véhicules thermiques en 2035 :
manque de métaux rares, contrôle de ceux-ci par la Chine ce
qui nous fait basculer d’une dépendance pétrolière vers une
plus grande, perte de main-d’œuvre importante dans la
construction automobile notamment en Pologne.
Mais comme on vient de le dire, on va vendre encore d’ici
2035 des véhicules thermiques pour les raisons déjà
évoquées. Mais si les constructeurs européens, qui
possédaient une supériorité technologique dans le secteur de
l’automobile, vont anticiper la vente des véhicules
électriques, ils vont produire de moins en moins
d’automobiles thermiques et ce seront donc nos concurrents,
chinois et indiens, qui viendront vendre leurs véhicules
thermiques bon marché chez nous pour ceux qui ne peuvent se
permettre d’acheter un véhicule électrique.
Après la destruction de tant de nos industries par le
dumping des Chinois qui eux ne s’occupent guère des
émissions de CO2, cette course trop rapide et sans
garde-fous va détruire ce qui reste de l’industrie
européenne. Que les écologistes ne s’en préoccupent pas
n’est pas surprenant, puisque moins il y a d’industrie, pour
eux, plus on sauvera les ressources naturelles. Mais que le
reste des députés européens n’aient pas compris cette
élémentaire réalité laisse pantois.
Le problème fondamental de l’électrification du transport
Le moteur électrique est très efficace et la consommation
d’énergie d’un véhicule électrique est donc relativement
faible. Faisons ce calcul pour l’UE, mais les résultats sont
similaires pour tous les États membres.
Il y a 253,5 millions de voitures dans l’UE qui parcourent
en moyenne 15 000 km par an. Selon l’ACEA, il y a 10
millions de véhicules neufs par an. Si les 10 millions
vendus en 2023 devenaient tous électriques de manière
linéaire avec le temps, nous aurions 64 millions de voitures
électriques en 2035. Si le nombre total ne change pas, avec
l’interdiction des véhicules thermiques d’ici 2035 on peut
estimer qu’en 2035 il y aura 64 millions de véhicules
électriques et 170 millions de véhicules thermiques.
Avec une consommation
unitaire de
20 kWh/100 km (en moyenne entre 12 et 25 kWh, moins pour les
véhicules légers et plus pour les lourds et selon la
conduite), la consommation totale sera de
0,2 × 15 000 × 64 millions = 192 TWh.
Par rapport à la demande totale d’électricité de l’UE, qui
est de 2900 TWh, l’électricité consommée représentera 7 % de
la consommation électrique de l’UE, ce qui semble tout à
fait raisonnable. Ce n’est qu’à terme que les 235 millions
de véhicules devenus tous électriques que la consommation
sera de
0,2 × 15 000 × 235 millions = 705 TWh
soit un quart de la production actuelle d’électricité. Mais
s’il fallait ajouter la consommation supplémentaire en
hiver, les pertes dues au transport de l’électricité et les
pertes à la recharge,
soit 20 à 30 % au total, selon modèle et mode de recharge,
on est plus proche du tiers de la consommation actuelle que
du quart.
Même si tous ne chargeront pas en même temps, il faut
certainement des capacités de surproduction additionnelles
aux 705 TWh. Ces calculs indiquent l’énergie qui sera
effectivement consommée, qu’il faudrait théoriquement
produire en continu pour assurer le kilométrage prévu. Au
moment de la recharge, la puissance demandée est nettement
supérieure et l’utilisation des véhicules n’est pas
« lissée » dans le temps.
Le tableau ci-dessous présente les mêmes données pour un
ensemble de pays. On peut observer que des pays comme la
Pologne ou même l’Italie auront des défis majeurs à relever,
car leur capacité électrique actuelle est plutôt faible par
rapport aux besoins futurs possibles pour satisfaire
l’électrification du parc automobile.

Un développement significatif des véhicules électriques ne
peut s’envisager que si l’on construit de très nombreuses
nouvelles centrales électriques. C’est d’ailleurs
indispensable si l’on désire éviter tout risque de blackout majeur
lors d’une recharge simultanée d’un grand nombre de
véhicules.
De plus, ces nouvelles centrales doivent fournir de manière
non aléatoire c’est-à-dire qu’elles ne peuvent pas dépendre
des énergies renouvelables intermittentes (éolienne et
solaire), particulièrement faibles ou nulles la nuit tandis
que les recharges seront plus volontiers nocturnes.
C’est-à-dire qu’elles devront être, soit des centrales au
gaz naturel, soit des centrales nucléaires (ou des centrales
au lignite en Allemagne puisqu’ils ne veulent plus de
centrales nucléaires). Or, on connaît les difficultés que la
construction de ce type de centrale soulève. En tout état de
cause, pour des raisons de sécurité et pour éviter le
déclenchement du système électrique, des dispositions
doivent être prises pour fournir la puissance requise à tout
moment, car le système électrique doit être fiable à 100 % à
tout moment. Si le monde politique entend développer
sérieusement le véhicule électrique, au lieu de débuter par
l’interdiction de la vente des véhicules thermiques en 2035,
il doit commencer par convaincre la population qu’elle doit
accepter un nouveau système électrique avec une capacité
installée nettement supérieure à celle existante composé de
centrales au gaz ou bien nucléaire (ou au lignite en
Allemagne).
Durant les heures creuses (de 21 h à 6 h), la capacité
disponible peut compenser en partie le surplus de puissance,
mais cela nécessite un contrôle strict afin d’éviter une
surcharge du réseau. C’est assurément une bonne chose du
point de vue macroéconomique d’augmenter le facteur de
charge c’est-à-dire de faire fonctionner le plus possible
les centrales électriques — y compris pendant la période qui
est aujourd’hui celle des « heures creuses » c’est-à-dire
lorsque la capacité installée est sous-utilisée parce que la
demande est faible, mais cela n’est pas possible avec les
centrales à production intermittente.
Certes, avec le temps, un smart grid (les
réseaux intelligents)
pourra en partie relever ce défi, mais cet objectif est
encore loin d’être atteint. On en parle depuis si longtemps,
et rien ne change. Afin d’absorber plus d’électricité
variable et intermittente, le réseau électrique bien qu’il
soit déjà « intelligent » devrait évoluer afin d’être en
mesure d’absorber le caractère aléatoire à la fois de la
génération électrique et celui de la demande croissante des
consommateurs. Le smart grid doit être accompagné
d’une gestion intelligente de nos consommations c’est-à-dire
de n’utiliser de l’électricité que lorsque le vent et le
soleil décident d’en fournir. Quand on observe que l’on
parle d’efficacité énergétique et d’économie d’énergie
depuis un demi-siècle et que le comportement humain continue
à préférer son confort, on est en droit de s’interroger sur
cette possibilité. En fait, on compte sur l’informatique
afin de pallier les comportements humains qui ne sont pas
toujours vertueux, mais ce ne sera qu’avec une tarification
intelligente qu’on pourra y parvenir.
J’ai déjà écrit sur cette difficulté qui ne peut être
éclipsée afin de poursuivre l’électrification du transport
automobile. Un lecteur a répondu que l’« on peut
s’arranger ». J’en conviens, c’est-à-dire en contrôlant
la vie des gens qui ne pourront recharger leur voiture que
lorsqu’un algorithme les y autorisera. On commencera par
essayer d’étaler les charges au cours de la journée, mais en
tenant compte que, dans leur grande majorité, ces voitures
seront chargées la nuit (pour des raisons de commodité, mais
également parce que la demande de courant de nuit est plus
basse qu’en journée).

Une demande de cuivre en forte croissance
Selon PFA, en France, les 60 000 bornes de recharge
aujourd’hui devraient passer d’ici 2030 à environ un
million. Pour alimenter en électricité ce nombre croissant
de stations de charge (privées ou publiques), il faudra
installer partout de nouveaux câbles électriques permettant
de transporter en basse tension la puissance mentionnée
ci-devant afin d’éviter tout déclenchement du circuit
électrique dans la zone concernée.
Ce n’est pas un problème compliqué, mais il sera extrêmement
coûteux car le cuivre utilisé pour fabriquer les câbles est
cher ; on peut le remplacer par l’aluminium avec des câbles
de plus grosse section mais sa production qui demande
beaucoup d’électricité n’existe
pratiquement plus dans l’UE à
cause de la politique climatique. De plus, il faudra ouvrir
les rues et les trottoirs pour installer ces câbles plus
puissants. En outre, il faudra construire de nouvelles
lignes électriques à haute tension pour transporter plus
d’électricité vers les centres de distribution. Ces coûts
supplémentaires pour le réseau électrique doivent
logiquement être payés par tous les consommateurs
d’électricité (citoyens et industries), ce qui signifie une
augmentation du prix de l’électricité supplémentaire à celle
en cours. Cela pose un problème éthique : même les personnes
qui ne conduisent pas un véhicule électrique devront payer
plus cher leur électricité. C’est la raison pour laquelle le
Commission a proposé un Fonds Social Climat qui de toutes
les façons sera alimenté par l’impôt et l’emprunt
c’est-à-dire par tout le monde.
Tout cela est de l’ordre du possible. Mais le danger de
déclenchement du réseau électrique (blackout) est
trop élevé pour prendre des risques. Les conséquences
économiques d’un tel déclenchement rapporté
par le prof Ernest Mund sont
telles que je conseille vivement de ne pas mettre la charrue
avant les bœufs. Le véhicule électrique possède des atouts
en matière de pollution atmosphérique (SO₂ et NOx), mais
aussi des inconvénients géopolitiques et environnementaux
(particules fines et CO2 à la source de production de
l’électricité si ce n’est pas l’énergie nucléaire qui la
génère). Mais quoi qu’il en soit, un développement autre que
de niches passe par la construction de centrales non
intermittentes.
Ce n’est assurément pas une solution pour pénaliser le
pétrole
Bien que la proposition de directive de la Commission
européenne d’abandonner l’automobile thermique soit bien
antérieure à la guerre en Ukraine et donc aux sanctions
contre le pétrole russe, il est évident que la volonté de se
passer de l’or noir de l’Oural a fortement contribué à
convaincre les députés européens à adopter cette
proposition.
Mais est-ce que pour autant cela va pénaliser le pétrole
mondial ?
Ce ne sera pas le cas, car actuellement, l’UE ne représente
que 11,5 % de la consommation mondiale de pétrole et on a vu
qu’en 2035 il y aura deux tiers des automobiles en
circulation qui seront encore thermiques. Au contraire,
moins de pétrole vendu en Europe impliquera davantage de
pétrole pour ceux qui continueront à l’utiliser, ce qui sera
la grande majorité du monde. Les pays en développement qui
sont à peine électrifiés vont-ils abandonner les véhicules
thermiques ? Moins de la moitié de la population africaine
est connectée au réseau électrique et ceux qui le sont ne
peuvent en profiter que pendant quelques heures.
Subventionner les véhicules électriques servira à libérer du
pétrole que quelqu’un d’autre peut consommer à un prix
inférieur. Partant, du point de vue macroéconomique, le
bannissement des véhicules thermiques dans l’UE va pénaliser
notre macroéconomie de multiples façons, y compris par un
manque de compétitivité de notre système de transport
routier. La conséquence de la décision européenne sera en
plus d’un prix de l’électricité très élevé, une pénalité
ultérieure par rapport aux concurrents dans un monde
globalisé.
Les politiques ne doivent pas jouer aux ingénieurs
En paroles claires, promouvoir les véhicules électriques est
incompatible avec le développement des énergies éolienne et
solaire. Évidemment, les politiciens veulent les deux, ce
qui est impossible. Mais eux ne s’embarrassent pas de
considérations techniques.
Le principe de base d’une politique saine est la neutralité
technologique. Ce fut vrai pendant longtemps à la Commission
européenne, mais depuis que la politique climatique prime
toutes les autres (y compris celle agricole !) les erreurs
stratégiques s’accumulent. Faut-il rappeler l’interdiction
du gaz de schiste dont l’UE est la principale importatrice
aujourd’hui, le
fiasco des biocarburants,
le prix de l’électricité qui explose alors qu’était annoncée
sa forte baisse ?
Les grandes mutations technologiques ne se sont jamais
faites « sur ordre » de l’État ou de l’UE ni dans des délais
courts de mise en œuvre. Il a fallu une quarantaine d’années
de transition entre l’apparition des locomotives électriques
à caténaire et la disparition totale des locomotives à
vapeur (pour l’anecdote, la société de chemin de fer belge se
vantait sur des placards en 1967 que le
« train polluant n’existe plus ». Le Minitel français a été
viable environ 25 ans avant de disparaître totalement.
Comme le secteur automobile de l’UE génère environ 7 % du
PIB et emploie 10 % de la main-d’œuvre manufacturière, la
menace pour l’économie et l’emploi de l’UE (notamment en
Espagne et en Pologne) est sérieuse, mais ne semble pas
inquiéter les députés européens. Ils estiment que cette
destruction d’emplois sera compensée par la construction de
batteries. Cela reste à voir, car les principaux composants
de la voiture (moteur, boîte de vitesses, différentiel,
etc.) sont à forte intensité de main-d’œuvre. Penser que le
véhicule électrique va remplacer le moteur à combustion
interne comme les mécaniciens ont remplacé les
maréchaux-ferrants, c’est prendre un grand risque. Le
remplacement de ces derniers n’a pas été décrété par l’État,
mais imposé par le marché. Le marché aurait dû décider si le
véhicule électrique doit supplanter le thermique, mais la
course à la diabolisation du CO₂ est plus forte que le
marché. Lorsque le marché exercera des représailles — comme
il est en train de le faire actuellement étant donné les
errements de ce qu’on ne devrait même pas appeler une
politique énergétique européenne — l’UE devra payer cher
cette erreur stratégique pendant de nombreuses années.
Les derniers ouvrages de Samuele Furfari sont Énergie.
Tout va changer demain ? et L’utopie
hydrogène
|